Le Grand Jeu : Officiers et Espions en Asie Centrale

Le_Grand_Jeu.jpg« The Great Game : On secret service on High Asia » est le livre historique le plus passionnant qu’il m’ait été donné de lire et je vous le recommande vivement. Récemment traduit en français (2011), il vous emmènera dans les confins de l’Asie centrale à la découverte d’un conflit (récent, début du siècle) qui dura plusieurs dizaines d’années entre la Russie et le Royaume Uni principalement (Car Napoléon n’avait pas réussi à aller plus lin que l’Egypte) et qui a modelé toutes les situations géopolitiques que nous connaissons actuellement.

J’ai lu ce livre lors de mon voyage au Xinjiang, plus précisément à Kashgar, donné par des amis qui revenaient du Kazakhstan, Ouzbékistan.. Ce qui donne au livre une dimension encore plus prenante..

Voici ce qu’en dit brièvement Jean-Pierre Perrin de Libération

Les livres traitant de géopolitique sont souvent pesants. Pas le Grand Jeu de Peter Hopkirk, ancien directeur du Times. Lui a pris le parti de raconter ce «tournoi d’ombres» à partir des odyssées de ceux qui se sont risqués sur la scène de cet échiquier grandiose qui vit s’affronter la Russie tsariste et la Couronne britannique. Raison du conflit : l’empire des Indes, Londres soupçonnant Moscou de vouloir trop s’en approcher. D’où la nécessité d’arrêter la progression des armées russes en Asie centrale. Sans pour autant risquer la guerre. Il s’ensuivit un long conflit masqué, à la semblance d’une extraordinaire partie d’échecs. Chaque camp disposait de tribus locales en guise de pions, d’espions opérant sous tous les déguisements à la place de fous, d’officiers prêts à dompter tous les périls comme cavaliers, et comme tours, des garnisons fragiles installées ici et là.

Source : Les Cahiers Livres de Libé

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Carte de la Perse au XIXème siècle

Pierre Ier de Russie est le premier tsar qui se rendit compte des ressources minières de l’Asie centrale. Son pays étant victime d’un retard économique important, il décida d’aller exploiter ces ressources près des rives de l’Oxus (Amou-Daria). Khiva est une ville sur l’Oxus avec, comme dirigeant, le Khan dont Pierre Ier voulait assurer la sécurité personnelle et le trône pour ses descendants en échange de commerce avec les Russes et de protections des caravanes contre les tribus turkmènes qui les pillaient. Il envoya donc une expédition lourdement armée en avril 1717 commandée par le prince Bekovitch. 

Après une avancée difficile dans un désert, où le prince perdit beaucoup d’hommes, il arriva enfin à Khiva. Le Khan lui fit un accueil chaleureux. Il proposa à Bekovitch de les loger, à la condition qu’ils se séparent. Bekovitch accepta pour ne pas froisser son hôte. Mais ce n’était qu’une ruse, le Khan ordonna l’assassinat de l’expédition, et seuls 40 Russes échappèrent à ce massacre.

Un des premiers Britanniques qui se mit à percevoir les menaces russes fut Henry Dundas. En 1798, une rumeur courait selon laquelle Napoléon voulait conquérir les Indes après son débarquement en Égypte et en Syrie. L’empire russe, puissance continentale, cherchait à consolider les acquis de la mer Noire qu’elle avait obtenus depuis la fin du xviiie siècle grâce à ses victoires sur l’Empire ottoman et parallèlement à s’étendre tout au long du xixe siècle vers le Caucase et l’Asie centrale. La libération des peuples chrétiens des Balkans du joug ottoman et les visées russes vers les Détroits, accès à la Méditerranée, furent considérés comme une menace pour l’Empire britannique, première puissance maritime du monde et alliée de la Turquie.

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La prise de Khiva

L’Empire britannique cherchait à étendre l’Empire des Indes, et y protéger ses intérêts. La course pour la suprématie menée par ces grandes puissances impliquait une puissance régionale : la Perse, qui en 1813 sortait d’une guerre contre les Russes.

Ainsi de 1813 à 1907 (mise en place de la Triple-Entente), l’Angleterre et la Russie deviennent ennemies, mais ne s’affrontent jamais directement (mis à part le seul épisode de la guerre de Crimée). Ce fait peut être comparable à la guerre froide du xxe siècle qui vit s’affronter deux blocs, sans conflit direct. La frontière des deux empires se rapproche de plus en plus dans le Pamir notamment, obligeant les deux empires à définir leurs frontières au début du xxe siècle.

Avide de symboles, la presse croqua tout au long du xixe siècle des dessins satiriques mettant en scène l’ours russe, le lion de la couronne d’Angleterre et le chat (Shah) perse. Au fil des années, les frontières des deux empires se rapprocheront avec l’avancée russe en Asie centrale et l’avancée des Britanniques au nord des Indes. La création d’un État-tampon comme l’Afghanistan s’explique alors.

Ce dont il faut bien se rendre compte, c’est qu’à l’époque, n’existe presque aucune carte, et les armées déployées sont gigantesques : 600 officiers, 2 000 fantassins, 1000 cavaliers, 3 000 ânes et mulets, 4 000 personnels de troupe..

Sans compter que les moyens de communication ne sont pas ceux d’aujourd’hui, donc le temps que l’Angleterre apprenne que l’armée russe est en route, il y a déjà deux ou trois mois de passés, et le temps qu’elle arrive sur le terrain, il luit faut plusieurs mois…

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Le capitaine Tucker avec les chefs Khybers

Quand on lit ce livre, on n’a qu’une seule envie, revenir dans le passé ! Les personnages qui ont marqué cette aventure incroyable le sont tout autant ! De jeunes officiers britanniques ou russes de 20 ans  à peine, parlant le perse et divers langues d’Asie centrale couramment, se déguisaient en marchands de chevaux, ou en imams, pour traverser des villes aujourd’hui restée mythiques (Khiva, Boukarra, Kaboul…)

A la lumière du livre, on comprend mieux aujourd’hui les problèmes du Caucase ou même de l’Afganistan, tant ces pays se sont retrouvés au milieu de deux puissances qui les utilisaient pour contrer l’avancée de leur ennemi !

Même la Chine n’est pas épargnée, tant Lhassa que Kashgar, où les Anglais se plaignent de voir sur les marchés prospérer les « produits de pacotilles bon marchés russes »

Mais ce qui fait la force de livre également, c’est que son auteur s’est rendu sur les lieux de ces aventures, à la recherche de tout ce qu’il pouvait rester de traces de ces événements. Il a sillonné tous les bazars à la recherche de livres, de manuscrits.. il a retrouvé des photos, des cimetières, des tombes, des statues, des journaux de bords, des armes des différentes armées.. 

Dans le Caucase, en Afghanistan, au Tibet, en Inde ou chez les Perses, le grand jeu met aux prises des officiers jusqu’à l’accord de 1907 qui met fin à cette rivalité. Le nouveau danger vient désormais d’Allemagne. Ici l’auteur ne prétend pas remplacer des livres récents faisant autorité, traitant de l’histoire des relations internationales, mais s’attache à une étude de terrain, privilégiant une petite échelle afin de faire revivre le périple de ces militaires aventuriers jouant leur vie au nom de la raison d’État. Il parvient à imbriquer les échelles d’études avec facilité. Ce livre se lit aisément, malgré un aspect a priori rébarbatif, et aide à comprendre les enjeux géostratégiques actuels de cette région du monde, largement tributaires des événements passés. Un livre qui ravira les historiens comme les militaires.

Source : Olivier Berger

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Bref, un livre de 600 pages qui se laisse dévorer !
Une fois lu, vous n’aurez qu’une seule envie : vous rendre dans les pays concernés !!
Si vous l’avez lu, qu’en avez vous pensé ?

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